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CHROMATOGRAPHIE
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Edité par Encyclopædia Universalis - 2009
La chromatographie est une méthode d'analyse chimique (cf. chimie analytique) consistant à séparer les constituants d'un mélange. Elle est utilisée aussi bien dans les services de recherche et développement que dans le domaine du contrôle. Son champ d'activité couvre les organismes d'État et les industries de la chimie, biochimie, pharmacie et parachimie (agrochimie, cosmétiques, parfums, caoutchoucs, polymères, matériaux composites, fermentations). Cependant, la médecine (humaine et vétérinaire), la génétique, la toxicologie, la pharmacognosie, l'environnement, le droit et la justice (police scientifique, douanes, répression des fraudes), la culture (restauration et conservation des œuvres d'art et archéologiques) font aussi appel à la chromatographie. En 1990, une statistique, établie sur le chiffre d'affaires des ventes d'instruments d'analyse moléculaire, fait apparaître que la chromatographie en représente à elle seule 52 p. 100. En sachant que les appareillages utilisés dans cette technique sont de cinq à dix fois moins chers (en moyenne) que ceux qui sont employés dans les autres techniques, ce chiffre souligne la très grande probabilité pour un analyste de la rencontrer ou de l'utiliser dans sa VIe professionnelle, quel que soit le domaine dans lequel il exerce son activité.Différentes méthodes chromatographiques se sont développées au cours du temps. Elles nécessitent toutes l'utilisation conjointe de deux phases non miscibles l'une dans l'autre, dont une, au moins, est en mouvement, et dans lesquelles les solutés à séparer se distribuent différentiellement. La grande importance de la chromatographie provient de sa vitesse d'exécution, de son grand pouvoir de résolution et de son aptitude à analyser de manière qualitative et quantitative de faibles quantités d'échantillon. Elle permet en particulier d'analyser des traces, de les préconcentrer aussi bien que d'isoler de grandes quantités de soluté pur. Ainsi est-elle universellement employée au laboratoire comme dans l'industrie. Un autre de ses avantages est la simplicité de son principe. La théorie fait appel à la partie de la physicochimie qui traite de la compréhension puis de la modélisation mathématique des effets simultanés des phénomènes chimiques et physiques permettant la séparation ou la purification des différents constituants de mélanges. Les concepts de reconnaissance moléculaire et plus généralement ceux qui sont issus des phénomènes décrits et développés en chimie supramoléculaire (cf. chimie supramoléculaire) y sont utilisés de manière permanente.Officiellement, sa découverte est due au botaniste russe Mikhaïl Semenovich Tswett (1872-1919) : dans sa thèse, en 1903, il signale la présence très nette de différents anneaux concentriques colorés qui se forment à la partie supérieure des filtres en papier, lors de la filtration des extraits de feuilles de végétaux dissous dans l'éther de pétrole. Persuadé que la chlorophylle n'était pas une substance unique, il a mis à profit cette observation en cherchant à mettre au point une méthode de séparation générale des mélanges très complexes. Il y réussit, en remplissant de manière très compacte une colonne en verre très étroite par un adsorbant (de la craie pilée, dans ce cas particulier, c'est-à-dire du carbonate de calcium CaCO3) dans laquelle l'extrait à filtrer, déposé en tête de colonne, migrait ensuite par gravité, entraîné par l'éther de pétrole (fig. 1). « Telles des raies de lumière d'un spectre, différentes zones colorées », correspondant respectivement au carotène (jaune), à la chlorophylle (verte) et à la xanthophylle (jaune), furent recueillies et analysées. Il publia le principe de cette nouvelle méthode de séparation en 1906 et la nomma chromatographie (à partir du grec chroma, couleur, et graphein, écrire, non sans humour car couleur se dit tswett en russe !).En toute rigueur, comme le reporte P. Jössang, Mikhaïl Tswett n'est pas l'inventeur de la chromatographie. Il est l'inventeur de la chromatographie d'élution et, par suite, de tous les développements modernes de cette méthode d'analyse chimique. Il est aussi l'inventeur du nom donné à la technique. Cependant, il n'est pas le premier à avoir publié des résultats de chromatographie, explicitant son principe.En effet, dès 1861, Friedrich Goppelsröder (1836-1919), professeur à l'université de Bâle, a reporté des expériences de chromatographie frontale sur papier. Il déclarait très clairement y « avoir vu la clé d'une nouvelle méthode analytique ». Il reprenait, en cela, les observations présentées auparavant par Christian Friedrich Schönbein (1799-1868) à la Société des sciences naturelles de Bâle « sur les hauteurs différentes auxquelles peuvent s'élever divers corps en solution en s'infiltrant dans les pores du papier Joseph ». F. Goppelsröder, « ayant acquis la conviction que cette méthode deviendrait très commode pour donner une connaissance rapide de la nature d'un mélange de matières colorantes », en a étudié et énoncé le concept. Il en a considérablement montré le potentiel : en modifiant la composition des solutions mises à migrer par capillarité, en utilisant des révélateurs pour repérer les zones de migration des solutés incolores, en changeant le support de migration (papier, coton, lin, soie...) et en en décrivant des applications préparatives. Il a publié ses conclusions dès 1901. Pratiquement à la même époque, Tswett menait ses expériences à Varsovie qui le conduiraient à décrire en 1906 « la méthode la plus propre à nous renseigner exactement sur le nombre et la nature des composants de la chlorophylle. Elle paraît être celle que j'ai élaborée depuis quelque dix ans sous le nom de méthode chromatographique par adsorption ».De la même manière qu'en optique, les lois de la réfraction sont décrites comme étant les lois de Descartes-Snell, parce que ces deux savants ont fait la même découverte dans deux pays différents à la même époque, on devrait, en traitant de la chromatographie, parler de l'invention de Tswett-Goppelsröder. Comme le fait remarquer P. Jössang, dans la mesure où Tswett « fut élevé en Suisse et étudia à l'université de Genève », « la Suisse a doublement enfanté la chromatographie ! ».Redécouverte en 1931 par Richard Kuhn (1900-1967) et Edgar Lederer (1908-1988), après une longue période d'oubli, et développée à partir de 1937 par Tadeus Reichstein (1897-1996) et son école, la chromatographie s'est depuis lors généralisée à l'analyse de substances incolores organiques ou minérales allant des gaz aux macromolécules. Pour ses applications analytiques, quelques microgrammes d'échantillon suffisent.Quelle que soit la technique considérée, la chromatographie a une efficacité qui dépasse de très loin tous les autres procédés de fractionnement, excepté l'électrophorèse capillaire (cf. électrophorèse). Les produits à séparer le seront, pourvu qu'ils aient des affinités (interactions moléculaires) différentes vis-à-vis des deux phases en présence.Il faut joindre à cette qualité la possibilité de travailler sur des composés très fragiles qui peuvent alors être traités en solution à la température ambiante. La chromatographie, à l'origine technique analytique, est devenue le procédé de préparation le plus pratique pour des substances aussi diverses que les acides aminés, les protéines, les stéroïdes, certains vaccins, les terres rares (difficiles à isoler lorsqu'elles sont en mélange) ou même les isotopes (par exemple dihydrogène-dideutérium, diazote 28-diazote 30, etc.) La séparation préparative des énantiomères (cf. stéréochimie - Stéréochimie organique) constitue à cet égard l'application la plus importante dans le domaine. Par exemple, on isole ainsi les deux énantiomères de la thalidomide. Cela permet d'éliminer l'isomère tératogène et d'obtenir le seul isomère aux propriétés médicales intéressantes (sédatives) pour commercialisation pharmaceutique. De même, certains isotopisomères (composés très difficiles à séparer, dont la différence provient du remplacement dans une molécule chirale d'atome(s) d'hydrogène par un ou des atomes de deutérium ou même de tritium) ont été séparés par cette technique.