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DÉVELOPPEMENT (biologie) - Le développement animal
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Edité par Encyclopædia Universalis - 2017
La notion d'épigenèse, pour expliquer la formation progressive de l'embryon, est suggérée pour la première fois par William Harvey en 1651, mais le vrai débat théorique a commencé au siècle suivant. Deux théories concurrentes ont tenté d'expliquer le développement de l'individu – l'ontogenèse – à partir des gamètes. Les partisans de la théorie de préformation, comme le naturaliste Albrecht von Haller, soutenaient que la spécificité du processus du développement pour chaque espèce s'explique par l'existence dans les gamètes d'un minuscule être préformé, une sorte de modèle de l'adulte, et le développement de l'individu n'étant autre que la croissance de ce modèle. L'« homonculus », l'homme minuscule dans le spermatozoïde en est la représentation la plus connue. Par opposition à la théorie de la préexistence du modèle miniaturisé, les partisans de la théorie de l'épigenèse, dont Kaspar Friedrich Wolff, pensaient que l'œuf est amorphe et que les organes de l'adulte se différencient graduellement. Aucune des deux théories n'était vraiment satisfaisante car, dans les deux cas, des questions fondamentales restaient inexpliquées. Les théories préformationnistes étaient confrontées aux difficultés d'expliquer pourquoi deux parents sont nécessaires pour la reproduction. De plus, la supposition de l'existence dans les gamètes d'un modèle préformé de chaque individu de chaque génération et l'emboîtement de ces modèles les uns dans les autres conduisent inévitablement à la question de l'origine du tout premier « modèle » et nécessite de supposer un acte de création comme point d'origine. Les partisans de l'épigenèse, de leur côté, avaient des difficultés à expliquer la spécificité du processus épigénétique pour chaque espèce. Pourquoi l'œuf de poisson se développe-t-il toujours en poisson, l'œuf de poule en poussin, etc. ? Quelle force pousse l'œuf à grandir et à se différencier ? Pour surmonter ces difficultés on invoquait souvent la « force vitale » – une hypothèse difficile à étudier par les moyens de la science.L'antagonisme de ces deux points de vue est profondément enraciné dans l'antagonisme des deux visions du monde sous-jacentes à la biologie. Il n'est pas difficile de comprendre que cet antagonisme a accompagné le développement des différentes disciplines biologiques du XVIIIe siècle jusqu'à nos jours. Par exemple, on remarque une certaine analogie conceptuelle entre l'opposition des thèses de la préformation et de l'épigenèse dans le cas de l'ontogenèse, d'une part, et les positions créationnistes et évolutionnistes dans celui de la phylogenèse, d'autre part. Contrairement à la thèse créationniste, dans le processus de l'évolution par sélection naturelle il n'y a pas de place pour la prédétermination.En ce qui concerne l'ontogenèse, la théorie de l'épigenèse était naturellement présente dans l'embryologie classique qui souvent cherchait à comprendre l'ontogenèse du point de vue de l'évolution (Ernst Haeckel) sans trop se préoccuper de la question de l'hérédité. Les diverses théories sur l'« auto-organisation » du vivant dans la seconde moitié du XXe siècle sont également d'inspiration épigénétique.En revanche, la génétique classique est plutôt apparentée aux idées préformationnistes de l'ontogenèse. Le concept de la préformation était contenu implicitement dans la théorie d'August Weismann sur la continuité du plasma germinatif entre les générations (1892). Néanmoins, pendant plusieurs décennies, la génétique classique ne s'est pas préoccupée du développement embryonnaire. Le problème de l'ontogenèse n'est abordé par les généticiens qu'une fois bien établies les bases conceptuelles de la génétique. En partant d'une position de principe – selon laquelle le génotype détermine le phénotype –, la génétique ne peut aborder le problème de l'ontogenèse autrement qu'à partir d'une position d'inspiration préformationniste.Le rapprochement de la génétique classique et de l'embryologie vers le milieu du XXe siècle a apporté plusieurs tentatives de synthèse des deux approches pourtant opposées. La synthèse la plus réussie, formulée par l'embryologiste C. H. Waddington faisait explicitement référence à l'épigenèse. Waddington, a considéré dès 1942 que le développement de l'embryon était un « processus épigénétique » par lequel le génotype construit le phénotype. Ce processus a de multiples trajets possibles. Le choix entre les différentes possibilités se fait sous l'effet de contraintes internes déterminées par les gènes et externes, qui « canalisent » le processus vers son état final. Dans ce « système développemental » imaginé par Waddington, la prédétermination coexiste avec le pouvoir d'autonomie.Désormais, inspirée par la génétique moléculaire, l'embryologie contemporaine aborde le problème du développement avec les outils de la génétique.Si la différenciation cellulaire est le résultat de l'expression différentielle des gènes comme l'énonce la génétique moléculaire, comment la diversité cellulaire des organismes multicellulaires peut-elle être mise en place à partir d'une cellule unique, lorsque toutes les cellules contiennent le même génome ? En effet, certains types cellulaires expriment certains gènes et d'autres types cellulaires expriment d'autres gènes. Au cours de la division mitotique, les cellules filles héritent généralement non seulement des gènes, mais aussi de leur état d'activité. Si un gène est exprimé dans la cellule mère, il y a de fortes chances que ce gène soit exprimé dans les cellules filles. Si, au contraire, un gène n'est pas exprimé dans la cellule mère, il reste souvent silencieux dans les cellules filles. L'état d'activité n'est pas codé dans la séquence de l'ADN, puisque celle-ci est la même dans toutes les cellules. Il semble donc nécessaire de faire intervenir des facteurs extra-génomiques pour expliquer l'expression différentielle des gènes et cela signifie l'existence d'une hérédité autre que celle qui est présente dans la séquence de l'ADN. L'hérédité indépendante de la séquence de l'ADN porte le nom d'« épigénétique ».Comme Robin Holliday l'a proposé en 1975, l'hérédité épigénétique concernerait même les mécanismes moléculaires responsables de l'état actif ou inactif des gènes et de la transmission de cet état au cours des divisions cellulaires ou même entre des générations. Il s'agit principalement des modifications chimiques des composants de la chromatine connues pour leur influence sur l'expression des gènes. L'utilisation du terme « épigénétique » dans ce sens est éloignée de sa signification originale. Il s'agit plutôt de la récupération de ce terme concurrent et de la transformation de sa signification par le paradigme génétique en difficulté d'expliquer le développement embryonnaire uniquement avec les notions classiques de la génétique. L'apparition de la notion du « code épigénétique » ou de celle du « programme épigénétique » illustre bien cette tendance.