ART PALÉOCHRÉTIEN

Article

François BARATTE

Edité par Encyclopædia Universalis - 2009

Que signifie l'expression d'« art chrétien » ? Consacrée par l'usage, elle est historiquement fausse. En effet, la définition d'un « art chrétien » repose sur l'idée d'une séparation entre les domaines du sacré et du profane telle qu'elle s'établit surtout à partir du XIXesiècle, dans la réflexion sur l'« art sacré », opposition étrangère aux époques anciennes, et tout particulièrement au monde antique. Mais, paradoxalement, c'est à cette conception même que l'on doit en grande part l'essor des études sur l'art chrétien ancien et médiéval, car c'est bien souvent en recherchant, dans une intention apologétique, l'expression ancienne de la foi chrétienne que l'on s'est intéressé à un art longtemps négligé, voire méprisé, parce que jugé décadent, barbare par rapport au bel art antique – celui de l'Antiquité tardive.Méthodologiquement, il faut néanmoins s'interroger sur la notion même d'art chrétien, car on a longtemps opposé l'art païen à l'art chrétien, comme s'il s'agissait des expressions équivalentes de deux confessions différentes, l'art païen étant souvent entendu comme synonyme d'art antique. Or l'art chrétien ne se constitue pas contre l'art païen ; il ne se substitue pas à lui. Lentement, c'est l'art antique qui se christianise : « L'art chrétien [...] est né non pas comme un langage artistique nouveau par des balbutiements, mais en se détachant de l'art courant du milieu qui a vu se propager la religion chrétienne, et en élargissant progressivement l'étendue de son programme. C'est ce qui fait l'originalité de ces premiers chapitres de l'histoire artistique chrétienne : l'œuvre chrétienne n'y apparaît qu'en tant que partie d'un ensemble beaucoup plus considérable, celui de l'art antique à son déclin » (André Grabar, Le Premier Art chrétien, 1966). Aussi bien, le cadre géographique de l'art chrétien coïncide-t-il avec celui de l'Empire romain, ou du moins de la progression de l'évangélisation dans l'Empire : de l'Euphrate à l'Atlantique, des îles Britanniques au Sahara et à la Nubie, avec quelques centres privilégiés – Rome, puis Ravenne en Occident, Alexandrie, Antioche et Constantinople en Orient.Mais qu'appellera-t-on alors art chrétien ? L'art qui affiche une référence religieuse explicite (certains ont pu dire : l'art « engagé »), ou l'art des chrétiens ? Si l'on s'en tient à la première conception, on sera amené, par force, à ne retenir presque que l'art « religieux » – l'art funéraire et l'art lié à la VIe religieuse (décor des édifices religieux, mobilier liturgique), non seulement parce que ce fut sans doute effectivement dans ces cadres surtout que se développa d'abord un art chrétien, mais aussi parce que nombre des objets plus quotidiens et plus fragiles qui pouvaient présenter aussi un décor chrétien ont disparu (car des textes et des documents figurés confirment leur existence). En revanche, si l'on adopte une conception plus large, quelle marge chronologique choisir ? Des témoignages (Tertullien, Clément d'Alexandrie) prouvent que dès le début du iiie siècle – c'est-à-dire un siècle avant la paix de l'Église et près d'un demi-siècle avant que n'apparaissent les premières œuvres explicitement chrétiennes – certaines représentations courantes pouvaient être acceptées par les chrétiens, et même lues chrétiennement. Comment supposer d'ailleurs que les chrétiens aient refusé toutes les images du monde dans lequel ils vivaient, alors même qu'ils se proclamaient citoyens de Rome ? Mais, à ce compte, on risque de retomber dans l'excès des premiers grands corpus constitués au XIXesiècle (De Rossi, Garrucci, Wilpert), qui annexent à l'art chrétien toutes les œuvres qui, à partir du iie siècle, peuvent admettre une interprétation chrétienne symbolique (images pastorales, banquets, représentations de poisson, etc.).Par force et par raison, on est donc contraint d'établir des compromis : tout en retenant qu'il en va de la conversion de l'art comme de celle de toute la culture antique – jeu dynamique de l'appropriation, de l'adaptation des formes et des thèmes ambiants, et des innovations ; métamorphose progressive et réciproque de la civilisation gréco-romaine et du christianisme qui s'« inculture » dans cette dernière – on définira néanmoins deux points de repère chronologiques objectifs : d'abord celui de la réalité saisissable de l'art chrétien (vers le milieu du iiie siècle), puis celui que constitue la paix de l'Église, compte tenu des conséquences matérielles de cette étape pour l'Église et les fidèles (mais les effets de cette modification des conditions politiques ne se ressentent pas avec la même ampleur dans tous les domaines : elles paraissent relativement moins sensibles dans le domaine funéraire que dans l'architecture de surface et les arts somptuaires). Quant aux termes ultimes de l'art chrétien primitif, ils se confondent avec ceux de l'art antique – et, de même, varient selon les lieux et les genres. Pour l'Orient, on tendra à adopter en art le critère politique de la naissance de l'Empire byzantin (donc le VIe siècle), bien que celui-ci ne marque point de rupture. Pour l'Occident, il faut tenir compte de plusieurs critères : l'interruption de certaines productions, une métamorphose accomplie jusqu'au méconnaissable des formes et des thèmes antiques, une modification de l'équilibre entre héritage gréco-romain et apports barbares (l'art de Ravenne sous la domination du Goth Théodoric est encore « antique », les œuvres de la Gaule franque et de l'Espagne wisigothique appartiennent déjà au haut Moyen Âge...).

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