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ANIMALITÉ
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Edité par Encyclopædia Universalis - 2023
La réflexion sur l'animalité se distingue radicalement d'une approche zoologique comme d'une approche ethnologique qui présenterait les modes de relations aux animaux propres aux diverses sociétés humaines. C'est vers le discours philosophique qu'il convient de se tourner pour appréhender ce concept supposé dire l'essence de l'animal. Dans la tradition occidentale, le concept d'animalité remplit, de par sa structure et son contenu, une fonction importante dans la définition de l'humain lui-même. En effet, le concept d'animalité ne vise pas tant à caractériser l'essence des êtres vivants sensibles autres que l'homme qu'à construire son contre-modèle, son négatif ontologique. Aussi l'animalité est-elle définie en creux, par un ensemble de manques : manque de raison (Descartes), manque de liberté (Kant), pour ne citer que les principaux aspects de la démarcation. Par ailleurs, cette construction permet aux sciences humaines de délimiter leur objet et de l'inscrire dans les cadres préexistants et distinctifs de la culture, du langage, du symbolique... L'animalité demeure captive de son opposition à l'humanité, comme le soulignent Max Horkheimer et Theodor Adorno : « Dans l'histoire européenne, l'idée de l'homme s'exprime dans la manière dont on le distingue de l'animal. Le manque de raison de l'animal sert à démontrer la dignité de l'homme. Cette opposition a été prêchée avec tant de constance et d'unanimité [...] qu'elle fait partie du fonds inaliénable de l'anthropologie occidentale comme peu d'autres idées. Même de nos jours, elle est encore reconnue » (La Dialectique de la raison, 1944, trad. franç. 1974). L'animalité n'est ainsi rien d'autre que le concept qui dit la différence ; il est la démarcation même de l'humain, sa limite.Il existe cependant une voie critique qui, à l'assimilation de la possession de la raison au fondement des droits, oppose la capacité à ressentir le plaisir et la souffrance (sensibilité). Tandis que le critère de la raison opère par exclusion, celui de la sensibilité opère par inclusion dans la communauté morale de l'ensemble des êtres qui en sont doués. Le fait de reconnaître aux animaux des intérêts en propre, constitue le point de départ de plusieurs théories morales (utilitarisme, droits des animaux, notamment) qui tirent les conséquences pratiques de cette nouvelle considération des animaux. Quand la sensibilité est examinée du point de vue des devoirs que ses manifestations suscitent en l'homme qui en est le témoin, c'est alors la thématique de la compassion qui occupe la réflexion. Nous limiterons son illustration à deux moments de la philosophie occidentale (Rousseau, Schopenhauer), puisque c'est le contexte culturel dans lequel cet article s'inscrit. Compassion et devoir de non-violence envers les animaux occupent une place importante, parfois centrale, dans plusieurs religions originaires de l'Asie, en particulier dans le jaïnisme où ce devoir ne souffre d'aucune ambiguïté dans sa signification comme dans ses applications.Par ailleurs, les apports de la phénoménologie ne sauraient être passés sous silence, en raison de la richesse et de l'originalité de la compréhension de la VIe animale qu'ils proposent et des perspectives qu'ils ouvrent, y compris sur le plan éthique.