DÉSIR (notions de base)

Article

Philippe GRANAROLO

Edité par Encyclopædia Universalis - 2020

Une étymologie parfois contestée lie le désir aux étoiles. Le latin sidus désigne en effet une constellation d'étoiles, et le « désir » (latin desideratio) serait la nostalgie qu'éprouve l'humain qui a cessé de contempler le ciel étoilé. Véridique ou non, cette étymologie a une qualité et manifeste une puissance en inscrivant l'idée d'un manque douloureux au cœur du désir. Et elle s'est imposée durablement puisque deux millénaires seront nécessaires à la philosophie pour qu'elle renonce à réduire le désir au manque.Longtemps considéré soit comme un reste de notre animalité parce qu'on ne le différenciait pas du besoin biologique, soit comme une faiblesse venue du corps qu'il faudrait surmonter, le désir a fini par apparaître aux penseurs modernes comme spécifiquement humain et comme l'un des indices les plus notables de notre puissance créatrice.Quelle que soit la conception dont il relève, le désir présente une dimension insatiable dont les philosophes ont saisi l'ambivalence. Qu'il soit de l'ordre du manque ou lié à notre créativité, le désir semble nous entraîner dans une course inachevable et frustrante. Mais cette insatisfaction ne pourrait-elle pas être considérée comme la singularité propre à notre espèce ?Si le désir est manque, notre bonheur relèverait donc de l'absence de désirs. Platon (env. 428-env. 347 av. J.-C.) est le premier à valoriser ce détachement et, s'il nous faut commencer par lui, c'est parce qu'il possède un privilège chronologique sur les philosophes qui suivront (ses successeurs grecs comme les théologiens médiévaux), mais aussi et surtout parce que sa doctrine a profondément marqué les esprits et n'a cessé d'être revisitée et imitée. Chez Platon, le désir se situe dans l'epithumia, l'une des trois parties de l'âme, la plus basse, celle qui plonge ses racines dans le corps. Freud (1856-1939) reprendra la théorie platonicienne en forgeant la notion de « çà » dans ses topiques. Il y place l'ensemble de nos pulsions et considère le çà comme régi par le seul « principe de plaisir », les pulsions exigeant une satisfaction immédiate et inconditionnelle. Le caractère inquiétant du çà tient au fait qu'il « ignore les jugements de valeur, le bien, le mal, la morale » (Nouvelles conférences sur la psychanalyse, 1936).Mais Platon préfigure également Freud par son analyse du monde onirique au début du livre IX de la République. Grâce à lui, nous savons quelque chose des rêves des Athéniens du Ve siècle av. J.-C. Lorsque la partie raisonnable de notre âme est endormie s'éveille alors « la partie bestiale et sauvage » qui « a l'audace de tout entreprendre, comme si elle était déliée et libérée de toute pudeur et de toute sagesse rationnelle. Elle n'hésite aucunement à faire le projet de s'unir à sa mère, ou à n'importe qui d'autre, homme, dieu, animal » (République, livre IX, 571 c et d). Dans sa sauvagerie, le désir ne respecte rien, il est sans foi ni loi, il est par nature démesure.Dans le sillage de Platon, beaucoup de philosophes

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Biographie

Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne ou Soljénitsyne (en Александр Исаевич Солженицын, Aleksandr Isaevič Solženicyn), né le 28 novembre 1918 à Kislovodsk et mort le 3 août 2008 à Moscou, est un écrivain russe et un des plus célèbres dissidents du régime soviétique durant les années 1970 et 1980. Né dans le nord du Caucase, il fait de brillantes études de mathématiques et de littérature. Il adhère alors à l'idéologie du régime communiste. Mobilisé en 1941 lorsque commence la guerre contre l'Allemagne, il suit à sa demande une formation d'officier d'artillerie à partir de 1942. Au front, il fait preuve d'une conduite exemplaire qui lui vaut d'être décoré. Il est cependant arrêté en 1945 pour avoir critiqué Staline dans une correspondance personnelle et est condamné pour activité contre-révolutionnaire à huit ans de détention dans un camp de travail pénitentiaire. Libéré en 1953, il est placé en relégation dans un village du Kazakhstan et ne pourra rentrer en Russie qu'en 1959, réhabilité par la Cour suprême. À la faveur de la déstalinisation et de l'adoucissement du régime sous Nikita Khrouchtchev, il publie un premier roman en 1962, Une journée d'Ivan Denissovitch, première œuvre littéraire témoignant de l'existence de camps en URSS, qui fait l'effet d'une bombe. Alors que le régime se durcit sous la direction de Brejnev et que la police saisit certains de ses manuscrits, il parvient à publier quelques ouvrages en samizdat (Le Pavillon des cancéreux) ou à l'étranger (Le Premier Cercle). Ils lui valent une renommée mondiale, jusqu'à obtenir le prix Nobel de littérature en 1970. En 1973, il donne l'ordre de publier à Paris L'Archipel du Goulag. Cette chronique minutieuse du système de répression politique en Union soviétique, nourrie de nombreux témoignages de rescapés des camps, connaît un retentissement mondial. Elle est considérée comme l'un des ouvrages majeurs du XX sur le système concentrationnaire. Arrêté en 1974, il est expulsé d'Union soviétique et déchu de sa citoyenneté. D'abord réfugié en Europe de l'Ouest, il s'installe ensuite aux États-Unis, dans le Vermont, où il passe vingt années d'exil, au cours desquelles il écrit sa monumentale Roue rouge. Réhabilité par Mikhaïl Gorbatchev, il rentre en 1994 à Moscou, où il termine sa vie. Figure de proue de la dissidence soviétique, il s'en démarque cependant par une vive critique du matérialisme occidental, exprimée notamment dans son Discours de Harvard sur le déclin du courage (1978).