VEDA

Article

Jean VARENNE

Edité par Encyclopædia Universalis - 2009

Les plus anciens documents que l'on possède sur les religions de l'Inde sont un ensemble de textes rédigés en sanskrit archaïque auxquels la tradition hindoue donne le nom de Veda, c'est-à-dire « le Savoir », « la Science (par excellence) ». Jouant un rôle analogue à celui de la Bible pour le judaïsme et le christianisme, le Veda fonctionne en principe comme un ouvrage de référence, qui a valeur normative dans tous les domaines intéressant la VIe religieuse (rites, croyances) et sociale (organisation idéale de la société, éthique politique). Anciennement (du XVIe au VIe s. av. J.-C.) les règles védiques ne concernaient en réalité que les couches supérieures de la société et, depuis deux millénaires (ve s. à nos jours), l'hindouisme s'est donné d'autres textes religieux : la Bhagavad Gītā, les Purāṇa, les Tantra, etc. Pourtant, le Veda reste honoré, vénéré ; les jeunes brahmanes en apprennent par cœur de longues séquences, et certains mantras (formules, prières) sont encore utilisés à l'occasion de rites domestiques (mariage, initiation, funérailles). Mais cela n'est que peu de chose en comparaison de ce qu'était la liturgie ancienne, riche, complexe et concernant toutes les activités humaines.Plus profondément, c'est la religion elle-même qui a changé au cours des siècles : à une époque où pratiques et croyances étaient exclusivement védiques succéda un temps où le Veda ne fut plus qu'une référence lointaine et sans efficacité. Ce passage du védisme à l'hindouisme se situe approximativement aux VIIe et VIe siècles avant notre ère, moment où apparaît également le bouddhisme qui, pour sa part, se définit par un rejet absolu des enseignements du Veda. Néanmoins, les brahmanes ont su conserver, jusqu'à nos jours, au moins la lettre du Veda, sinon son esprit. Mais, nécessairement, ce qu'ils gardaient ainsi de la religion ancienne ne pouvait relever que du formalisme le plus étroit : les brahmanes soi-disant « védiques » professent un ritualisme desséchant qui n'a que peu de rapport avec ce que les textes eux-mêmes nous font connaître des croyances et des attitudes des fidèles du IIe millénaire avant notre ère.Enfin, s'il est vrai que védisme et hindouisme sont l'un et l'autre des religions polythéistes où les rites obligatoires tiennent une large place, il reste que la perspective générale est profondément différente : là où l'hindouisme insiste sur la nécessité pour le fidèle d'avoir un rapport direct et personnel avec sa divinité d'élection (c'est ce que l'on appelle bhakti, « dévotion »), le védisme propose la recherche du salut collectif (familial, ou « national ») par l'intermédiaire du pater familias ou du roi. De plus, les grâces à obtenir des dieux sont volontiers décrites dans le Veda en termes de satisfactions matérielles (des chevaux, des esclaves, du butin), cependant que la Bhagavad Gītā, par exemple, met l'accent sur le destin eschatologique de l'individu – cohabitation post mortem avec Viṣṇu, ou libération définitive du monde phénoménal. Cette opposition ne doit cependant pas être trop systématisée, car le Veda connaissait aussi le salut personnel (« on offre les sacrifices parce que l'on désire gagner le Ciel », dit un texte rituel), de même que les prières hindoues à intentions « matérielles » se rencontrent assez fréquemment.D'autres aspects du védisme font également contraste avec les éléments correspondants de l'hindouisme classique : le Veda, par exemple, ne connaît ni le système des castes (la société védique est divisée en « fonctions » très larges correspondant à peu près aux trois « états » de notre Ancien Régime), ni la doctrine de la transmigration ; le yoga lui est également inconnu, sauf dans les Upaniṣad qui marquent justement la fin du védisme ; enfin, Śiva et Viṣṇu n'apparaissent dans les textes védiques que de façon furtive et sans jouer de rôle important dans le panthéon, alors qu'ils sont, on le sait, les dieux majeurs de l'hindouisme.De nos jours, le Veda se présente surtout comme un témoignage quasi unique sur une civilisation disparue, mais dont l'influence continue de se faire sentir de quelque façon sur la mentalité de plus de quatre cents millions d'hommes. À ce seul titre, il mériterait de retenir l'attention, mais il convient d'y ajouter le fait que maints passages des textes qui le composent ne sont pas dépourvus d'une valeur littéraire appréciable pour nous, malgré le double obstacle de la traduction et de l'éloignement dans le temps et l'espace.

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