ART PRÉHISTORIQUE

Article

Michèle PIRAZZOLI-t'SERSTEVENS

Edité par Encyclopædia Universalis - 2021

Près de trois millions d'années séparent les premiers outils fabriqués par l'homme des premières images préhistoriques : cette longue période, équivalente de celle qui marqua l'émergence de Homo au sein des Hominidés quelque part en Afrique orientale, est dominée par un phénomène évolutif spécifique à l'homme : sa cérébralisation. Avec ses lobes frontaux développés, le cerveau d'Homo sapiens sapiens fossilis offrait une complexité et des possibilités fonctionnelles sans précédent ; c'est alors qu'apparaît l'art, trente mille à quarante mille ans à peine avant notre ère.Ce lien en quelque sorte organique entre le cerveau évolué de l'homme préhistorique moderne et la création artistique dont il est l'auteur s'inscrit dans la perspective des comportements métaphysiques proprement et exclusivement humains attestés par des sépultures aménagées dès le Paléolithique moyen, deux à trois dizaines de millénaires auparavant : une bonne trentaine d'inhumations individuelles ou collectives, réalisées par des Néandertaliens (Homo sapiens neandertalensis) en Europe et au Moyen-Orient.Cependant, l'acte de représenter, c'est-à-dire d'inventer entre soi et son univers une forme, de l'inscrire pour durer dans la pierre ou l'os, bref d'introduire de l'imaginaire pur dans la matérialité concrète des objets et des parois rocheuses, est absolument nouveau et conduit à notre modernité, celle du visuel et de l'abstrait.Nouveau, le phénomène artistique est également universel. Jusqu'aux années 1970, l'ancienneté et la multitude des travaux consacrés à l'art paléolithique franco-cantabrique d'une part, la rareté des recherches appliquées ailleurs – à l'exception de l'Afrique saharienne et australe – s'étaient conjuguées pour laisser croire que les origines de l'art préhistorique étaient européennes ; il n'en est rien. En Australie, des travaux ont donné des datations absolues au carbone 14 archéologiquement bien fondées ; celles-ci montrent que d'assez nombreux ensembles gravés ou peints en abris et en grottes sont contemporains de l'art pariétal magdalénien de France et d'Espagne ; certains sites ont même plus de vingt mille ans ; ils sont donc plus anciens que l'essentiel de l'« art occidental préhistorique ». Il en est de même sans doute en Amérique du Sud, au Brésil notamment, mais aussi en Argentine et au Chili, où les sites correctement datés au-delà de 10 000 B.P. (before present), voire 15 000 B.P. et plus, se multiplient sous l'effet de recherches intensives développées à partir de 1980. L'Afrique et l'Asie – l'Inde en particulier – offrent aussi une multitude de sites d'art rupestre appartenant à des cultures anciennes dont les modes de VIe permettent de les comparer aux cultures du Paléolithique supérieur européen.L'universalité du phénomène artistique résulte bien entendu de celle de son auteur, c'est-à-dire du type humain sapiens, qui, précisément, achève de conquérir le monde au cours de ces quatre dernières dizaines de millénaires ; en même temps qu'il s'approprie de nouveaux espaces, Homo sapiens les peuple d'images.Séries d'incisions, nappes de cupules ou de points, signes géométriques, files d'animaux, d'hommes, d'armes... témoignent abondamment de la conception de rythmes, de séquences, en un mot de types de numération : une dimension abstraite caractérise la plupart des formes d'art préhistorique monumentales – art rupestre et art pariétal – ou mobilières – les objets et supports amovibles. En ce sens, les arts préhistoriques annoncent les écritures ; cependant, ils sont profondément figuratifs par les deux thèmes majeurs qu'ils privilégient : l'homme et les animaux. Le premier fut dessiné dans la variété infinie de ses attitudes, postures, accoutrements ; les animaux dans leur extrême diversité témoignent des choix des chasseurs aussi bien qu'ils illustrent partiellement les faunes sauvages locales ou encore la domestication, lorsqu'elle intervint à diverses époques et sur chaque continent.Le choix des supports montre aussi la richesse des comportements symboliques des hommes préhistoriques : armes et outils furent parfois richement décorés comme pour souligner la valeur et l'importance qu'ils revêtaient pour l'accomplissement des tâches quotidiennes ; mais les « objets d'art », sans fonction utilitaire, sont également nombreux dès les périodes les plus anciennes comme le prouvent les statuettes animales et humaines modelées en terre et cuites par des Gravettiens d'Europe centrale, il y a plus de 25 000 ans.Partout dans le monde, l'art monumental est un mode d'expression de plein air, qu'il s'agisse de représentations en abri, sur roches ou même sur dalles au sol ; la seule exception fut celle, merveilleuse, de l'art pariétal paléolithique, un art des profondeurs, celui des grottes et des cavernes.Plus que tout autre vestige archéologique, l'art préhistorique reflète directement la pensée, le rêve de ses auteurs, les cosmogonies et les symboles de leurs groupes. Il est un lien privilégié de compréhension entre les hommes préhistoriques et nous-mêmes.

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