ARCHÉOLOGIE INDO-PAKISTANAISE

Article

Jean-François JARRIGE

Edité par Encyclopædia Universalis - 2009

La révélation du passé préhistorique du subcontinent indo-pakistanais a commencé dans la deuxième moitié du XIXesiècle, avec la construction du chemin de fer Karachi-Lahore qui entraîna la découverte, en 1856, des ruines de Harappa, une des deux grandes métropoles de la civilisation de l'Indus. La destruction d'une partie du site de Harappa, dont les briques servirent alors de matériau de construction pour le ballast, mit au jour un certain nombre d'antiquités, notamment des cachets décorés de représentations animales et portant des inscriptions pictographiques d'un type inconnu. Plusieurs de ces cachets trouvèrent alors le chemin du British Museum où ils éveillèrent la curiosité des spécialistes. Aussi, dans la première moitié du XXe siècle, sir John Marshall, directeur du service des antiquités de l'empire des Indes, décidait-il d'entreprendre un vaste programme de fouilles pour élucider l'énigme posée par cette mystérieuse civilisation. Rappelons qu'un ensemble de références dans les textes bibliques laissait supposer l'existence, sous les sables du Proche-Orient, d'anciennes civilisations dont les archéologues allaient peu à peu retrouver les traces. En revanche, le dégagement dans la vallée de l'Indus, dans les années 1920 et 1930, de villes immenses dont l'urbanisme – plan des rues en damier, système d'égouts publics et installations sanitaires – est tout à fait exceptionnel, provoqua une très vive surprise. La découverte de quelques cachets dans le style de la civilisation de l'Indus, sur des sites mésopotamiens de la deuxième moitié du IIIe millénaire et du début du IIe millénaire, permettait d'assigner un cadre chronologique à cette civilisation toujours auréolée de mystère. À la même époque sir Aurel Stein s'attachait à l'exploration des zones très arides et difficiles d'accès du Baluchistan, qui l'amena à découvrir de nombreux sites antérieurs à la civilisation de l'Indus. Mais ces villages de taille très modeste ne semblaient guère fournir d'éléments pour expliquer l'apparition d'une grande civilisation sur les bords de l'Indus.Parallèlement à ces premières recherches portant sur les périodes proto-historiques, des géologues, comme R. Bruce Foot, commençaient à réunir des collections d'outils dans la région de Madras, puis dans l'Inde du Nord-Ouest, qui révélaient l'existence d'un âge de la pierre comparable à celui que l'on était en train de découvrir en Europe. À la suite des pionniers du XIXesiècle, les archéologues continuèrent à répertorier des collections d'outils de pierre sur presque tout le subcontinent, établissant des parallèles typologiques avec les industries paléolithiques de l'Europe. Mais le problème de la datation de ces objets, provenant le plus souvent de collectes de surface, restait entier. C'est à la mission de De Terra et Paterson, dans les piémonts himalayens, en 1933, que revient le mérite d'avoir tenté pour la première fois d'établir une séquence qui reste encore un important point de référence. Sur la base de considérations d'ordre technologique et typologique, le matériel de nombreux sites de la vallée de la Soan, au Punjab, et du Cachemire, a été mis en relation avec des séquences de terrasses formées par les rivières de ces régions. Ainsi De Terra et Paterson ont-ils cru pouvoir distinguer quatre phases glaciaires séparées par trois périodes interglaciaires qu'ils ont proposé de mettre en relation avec les phases glaciaires de l'Europe, créant alors le premier cadre chronologique pour l'étude des industries paléolithiques du subcontinent indo-pakistanais.Les années qui suivent l'indépendance du Pakistan et de l'Inde (1947) sont marquées par le développement des recherches archéologiques dans de nombreuses régions, en particulier grâce à une politique d'explorations et de sondages stratigraphiques selon les méthodes appliquées par sir Mortimer Wheeler, le dernier directeur du service archéologique de l'empire des Indes. La liste des gisements appartenant à des phases considérées comme paléolithiques, mésolithiques, néolithiques ou chalcolithiques, s'allonge considérablement au fil des années. Cependant l'accumulation de découvertes nouvelles pose de graves problèmes au niveau de leur interprétation. L'utilisation, en particulier, de termes appartenant au vocabulaire de l'archéologie de l'Europe et du Proche-Orient, pour désigner les différents assemblages culturels du monde indien, est souvent une source de confusion. Aussi est-il souhaitable de définir brièvement ces termes, en soulignant les problèmes que pose leur emploi dans le monde indo-pakistanais où l'on s'en sert soit pour distinguer des stades successifs de l'histoire du subcontinent soit pour qualifier les modes de VIe de groupes distincts qui ont souvent pu vivre à des époques très diverses.Rappelons que l'on divise les grandes périodes de l'humanité de la façon suivante : le Paléolithique, le Mésolithique, le Néolithique et l'âge des métaux (Chalcolithique, âge du bronze et âge du fer). Le Paléolithique représente 99 p. 100 de l'histoire de l'humanité ; pendant cette période, les sociétés humaines ont vécu selon une économie fondée sur la chasse, la pêche et la cueillette. Le terme de Mésolithique, période intermédiaire par définition, sert à désigner des groupes qui, au Postglaciaire, accroissent leur contrôle sur les ressources naturelles, utilisent de plus en plus de la nourriture végétale, grâce à l'emploi de broyeurs et de meules, et finissent par produire eux-mêmes leurs aliments, délaissant peu à peu les activités de chasse et de cueillette. Commence alors le Néolithique avec les premiers villages de paysans sédentaires utilisant des haches de pierre polie, puis fabriquant, après un stade précéramique ou acéramique, la poterie. On peut suivre ce passage du Mésolithique au Néolithique en Irak et en Palestine du XIe millénaire aux IXe et VIIIe millénaires avant notre ère. Mais, dans d'autres régions, et dans le monde indo-pakistanais en particulier, il est souvent difficile d'observer une évolution aussi homogène et continue, bien que l'on utilise très largement les termes « mésolithique » ou « néolithique » pour définir différents groupes. Le terme de mésolithique sert en effet à désigner non seulement des prédateurs (chasseurs-cueilleurs) en voie d'évolution vers le stade de producteurs du Néolithique, mais aussi des groupes qui conservent une économie assez proche de celle des chasseurs du Paléolithique. Ces derniers groupes, que l'on doit appeler plutôt épipaléolithiques, se distinguent de leurs prédécesseurs par une industrie lithique aux outils de taille de plus en plus réduite, parfois même minuscule. La présence de ces petits outils ou « microlithes », souvent de formes géométriques (trapèzes, segments et triangles), est un élément suffisant aux yeux de beaucoup de spécialistes de l'archéologie indo-pakistanaise pour classer un groupe dans le Mésolithique. De même, un site devient néolithique si l'on y trouve quelques haches de pierre polie et des tessons de céramique ; un site voisin sera qualifié de chalcolithique si quelques objets de cuivre ont pu y être découverts. Pourtant, nous le verrons, beaucoup de ces sites qualifiés de mésolithiques, néolithiques, ou chalcolithiques, ont été plus ou moins contemporains. Le monde indien est en effet constitué de régions très diverses ; plaines alluviales, déserts, jungles, forêts tropicales, montagnes difficilement pénétrables forment des ensembles où, de nos jours encore, vivent des populations culturellement et économiquement très différentes. Ainsi, en marge des villes et des villages de l'Inde contemporaine, trouve-t-on encore, dans les reliefs de l'Inde centrale, des groupes qui exploitent les ressources forestières en conservant un mode de VIe très proche de celui des prédateurs du Paléolithique.Cette coexistence de communautés vivant à des niveaux économiques et culturels très différents est un trait constant de toute l'histoire du subcontinent. Il ne faut donc pas trop s'étonner de trouver dans les ouvrages consacrés à la préhistoire indo-pakistanaise des références à des sites chalcolithiques du Ve millénaire au Baluchistan, à des villages néolithiques du IIIe millénaire dans la vallée du Gange et dans le Deccan, et à des camps mésolithiques du IVe au Ier millénaire au Gujarat et au Rajasthan. Il est bien évident que les termes « mésolithique », « néolithique », « chalcolithique » ne coïncident pas toujours dans le subcontinent indo-pakistanais avec une succession chronologique, comme c'est le cas au Proche-Orient ; ils servent souvent à désigner des groupes que l'on devrait plutôt appeler submésolithiques ou sub-néolithiques, dans la mesure où ils ont parfois vécu en marge de communautés agricoles du Chalcolithique ou de l'âge du bronze.

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