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RÉALISME, philosophie
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Edité par Encyclopædia Universalis - 2009
Le mot « réalisme » a plusieurs acceptions. Le réalisme logique s'oppose au nominalisme, théorie des termes généraux : ceux-ci sont des noms d'entités pour le premier, des abréviations qui désignent collectivement des particuliers pour le second. Le réalisme métaphysique a pour antithèse l'idéalisme, que Berkeley appelle immatérialisme et qui consiste à nier l'existence d'une matière des corps, indépendante de nos perceptions. Le matérialisme, sorte de réalisme physique, comporte un postulat supplémentaire ; il identifie matière et réalité sans être capable d'élucider la nature de la matière.On qualifie indifféremment de réalisme ou d'idéalisme la doctrine platonicienne qui attribue aux idées formes une réalité indépendante, tant des substrats qui les portent que des individus qui en acquièrent une connaissance (du reste imparfaite). On nomme aussi réalisme la transformation d'une entité logique en un réel doué d'existence ailleurs que dans l'esprit d'un sujet connaissant (c'est, d'après Émile Meyerson, le réalisme « au sens que l'on attribuait à ce terme au Moyen Âge ».)Les réalistes affirment que des concepts tels que substance, infini, cause ne sont pas seulement des déterminations mentales ou des produits de l'entendement. Ils admettent parfois, outre une substance universelle, un découpage de cette substance en essences, donnant lieu à des substances particulières (individuation). Les idéalistes (Léon Brunschvicg après Charles Renouvier), qui critiquent les « abstractions réalisées », ne voient pas que la science « réalise » des concepts en supposant des atomes, des électrons, un espace-temps courbe, etc., avant que l'expérience soit en mesure de trouver ces entités dans le monde physique. Ces entités sont d'abord de nature virtuelle (voir les remarques d'É. Meyerson, Du cheminement de la pensée, 1931, II, paragr. 215, p. 356). Les idéalistes estiment les substances inutiles, parce que inconnaissables et indéfinissables, faute de propriétés par quoi les définir : nous ne connaissons que des rapports. Les philosophes réalistes repoussent l'objection en disant que les substances se révèlent par leurs relations. De plus, l'inconvénient de remplacer les substances par les lois se manifeste par des conséquences négatives en épistémologie (l'indétermination des relations, qu'on prétend justifier par une doctrine ad hoc, le conventionnalisme).En résumé, réalisme et idéalisme sont des thèses sur ce qu'il y a et des doctrines du rapport de la pensée et de la réalité. Pour une métaphysique réaliste, les déterminations de la pensée ne sont pas étrangères aux objets ; « les choses et leur pensée s'accordent quand elles sont pleinement actualisées » (Hegel). Une connaissance vraie atteint les choses telles qu'elles sont en soi, et les lois scientifiques ont d'abord leur raison d'être dans la réalité extérieure. Pour l'idéalisme, par exemple kantien, devenu l'orthodoxie des philosophes (et peut-être des savants ?), ces lois sont fondées sur les propriétés de l'esprit humain ; la pensée s'arrête aux phénomènes, c'est-à-dire que le sujet pensant perçoit des choses moyennant les formes de l'intuition et les catégories. (Les déterminations de l'universalité et de la nécessité, qui sont celles de la connaissance, l'expérience ne les fournit pas ; elle ne contient que du variable et du contingent ; universalité et nécessité, exprimées en des jugements soit analytiques soit synthétiques a priori, proviennent de la pensée.)Dans la littérature, on a coutume d'appeler (péjorativement) « réalisme naïf » la croyance en l'existence d'objets extérieurs correspondant aux données de nos sens, ou l'attribution, au représenté par la représentation, d'une réalité « subjective » (dans un sujet), indépendante de la représentation. L'idéalisme, inversion de l'attitude naturelle, n'est pas naïf. Défi au sens commun, la charge de la preuve lui incombe. Les idéalistes, désireux d'éviter que leur thèse ne passe pour absurde, prennent les devants : ils discréditent le sens commun, déprécient le sensible, montrent que le réel n'est pas l'apparent, ou qu'il commence d'apparaître quand on utilise, pour le décrire ou l'expliquer, des symboles abstraits, créations de l'esprit humain.« Réalisme » sera pris au sens du Vocabulaire de la philosophie d'André Lalande : « Doctrine d'après laquelle l'être est indépendant de la connaissance actuelle que peuvent en prendre les sujets conscients : esse n'est pas équivalent à percipi. » L'idéalisme soutient que l'intellect ne connaît que ses propres états : voir les commentaires sur la physique contemporaine, qui nient l'existence d'un donné extérieur à nos représentations (aux mesures effectuées par les observateurs). Réalisme et idéalisme s'opposent terme à terme, l'un affirmant ce que l'autre nie. Pour le premier, la pensée est dans l'être ; pour le second, l'être est contenu dans la pensée.On appelle naïve ou précritique la tendance à prendre à leur valeur nominale les données perceptuelles. Par exemple, nous voyons rectiligne l'arête d'un cristal et plane chacune de ses faces. L'idéalisme bénéficie du fait suivant : une physique microscopique prouve que ces apparences expriment en partie les propriétés de nos organes. L'attitude critique consiste à suspendre la croyance que nous pouvons atteindre immédiatement, soit par la pensée (a priori), soit par les sens, des réalités indépendantes et définitives, et à tenir compte de la contribution de notre esprit à la connaissance. Le réalisme n'est pas incompatible avec des réserves critiques, à condition de ne pas considérer comme fausses les données sensibles, même lorsqu'une science plus avancée les contredit, et de maintenir que la connaissance ne peut se passer de l'intuitif comme traducteur et interprète des constructions abstraites et des résultats d'expériences sophistiquées.
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