RÉDUCTIONNISME -and- HOLISME

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Jean LARGEAULT

Edité par Encyclopædia Universalis - 2009

Doctrine de la matière, dont le but est d'expliquer le principe qui produit les choses, le matérialisme est une doctrine de l'unité, qui prétend rendre compte de la variété et de la diversité, en plaçant cette unité dans une substance, dont toutes les formes et propriétés susceptibles de se rencontrer sont des transformations. Cela se manifeste, dès l'origine, chez les premiers penseurs antésocratiques. L'idée de réduction apparaît ensuite, lorsque l'identité a été découverte, avec les possibilités qu'elle offre pour répartir des êtres différents en classes. Des choses distinctes peuvent être traitées comme identiques sous le rapport des propriétés qui leur sont communes. On procède ainsi quand on explique la qualité par la quantité, ce qui est un genre de réduction. Un autre trait du monisme matérialiste est l'explication par une seule espèce de cause. Ce type d'explication peut être caractérisé de réducteur, par comparaison avec des systèmes qui admettent plusieurs sortes de causalité. Le réductionnisme tend à dériver le supérieur (le conscient, le vital) de l'inférieur (le physico-chimique). N'attribuant de réalité qu'aux constituants les plus petits de l'univers et interprétant les niveaux d'organisation supérieurs en termes des inférieurs, il apparaît comme un aspect du matérialisme, autant que postuler une matière faite d'éléments indécomposables et absolus (particules fondamentales, « briques d'univers ») est essentiel à cette doctrine. Lorsqu'on a égard à la différence entre la réalité en soi et les théories ou les modèles, on présente le réductionnisme comme une thèse sur les théories plutôt que sur leurs objets. Elle affirme alors la réductibilité du niveau de description supérieur (biologique) au niveau de description inférieur (physico-chimique). Concession à l'idéalisme de la « philosophie des sciences » ? Pas seulement. Cela inclut une référence à des réductions comme celle de la thermodynamique à la mécanique statistique. On peut aussi mettre le réductionnisme sous le patronage de Descartes, qui considérait les vivants comme des machines descriptibles par figure et mouvement. Cette conception justifie l'emploi exclusif de méthodes d'analyse et de décomposition : les propriétés d'un tout devant se déduire des propriétés de ses parties, les organismes seront explicables à partir des éléments qui les composent. C'est un exemple de réduction, puisque l'explication élaborée dans un domaine (la mécanique : figure et mouvement) est étendue à un autre domaine (le biologique) : l'étude des systèmes inanimés commence par la description d'états et de mouvements (changements quantitatifs) des parties qui les composent. La biologie moléculaire d'aujourd'hui est-elle un héritage de la tradition cartésienne ? Certains pensent qu'une description de ce genre n'épuise pas le fonctionnement des systèmes animés.Ce type de réduction d'une description à une autre (qu'on appelle épistémologique) laisse un résidu. La prétendue réduction des mathématiques à la logique, qui en est le paradigme, a été un fiasco. ( On peut faire valoir que l'échec est fécond, puisqu'il a été l'occasion d'approfondir et de développer les méthodes axiomatiques en mathématiques : les erreurs en science sont parfois plus instructives que mainte vérité factuelle dépourvue d'intérêt.) Les réductions épistémologiques offrent prise à malentendu. On peut dire que toute loi physique est a priori vraie en biologie et en sociologie, parce que toute fonction vitale et tout fait social ont une base physico-chimique. Mais, comme énoncé vrai dans ces disciplines « surbordonnées », une loi physique est inintéressante, dépourvue de contenu et d'information. De plus, en ce qui concerne la biologie, des concepts tels que organe, cellule, espèce, etc., n'ont pas encore pu être définis en termes de coordonnées spatio-temporelles (points d'espace-temps) et de réactions physico-chimiques. Faute d'une telle définition, on ne connaît pas d'axiomes de théorie physique pour la biologie. La réduction des niveaux de description, si même elle a un sens, est un espoir plutôt qu'une réalité.A-t-elle un sens ? Les lois du niveau biologique pourraient-elles se déduire des lois physiques « fondamentales » ? Les lois du mouvement de particules isolées, par exemple d'électrons, ne sont pas identiques à celles de systèmes de particules, et on sait encore moins passer de là au mouvement d'un grand nombre de particules, comme les corps macroscopiques en présentent. Dès le XIXesiècle, Maxwell s'étonne que les biologistes s'imaginent faire rentrer les phénomènes du vivant dans le cadre de la dynamique classique, étant donné que les unités vivantes les plus petites comptent plus de 106 molécules. Il serait plutôt à présumer qu'il existe des niveaux d'organisation avec des comportements différents, imprédictibles par affinement de l'analyse des entités constitutives des objets de ces niveaux (le « holisme » consiste justement à affirmer que le tout est plus que la collection des parties). Enfin, il est peut-être absurde de parler de réduction épistémologique à propos de phénomènes qui mettent en jeu plusieurs niveaux de réalité, comme tel est le cas des phénomènes vitaux qui touchent à la physique, à la chimie, à la psychologie...On appelle réductionnisme faible (ou méthodologique) l'attitude de ceux qui soutiennent qu'une explication scientifique est forcément analytique, réductrice des phénomènes biologiques à des principes physiques, et réservent la question de ce qu'il en est en soi. Le réductionnisme faible considère que les causes finales tombent en dehors de la science. Cette exclusion, conséquence d'un choix instrumental, n'implique aucune thèse ontologique. Le vitalisme (par exemple l'hypothèse que vivant et non-vivant diffèrent, et que ces différences sont de type d'organisation plutôt que de substance) n'est pas rejeté comme faux ni incorrect ; seulement, il ne constitue pas une voie de recherche systématisable, praticable, et féconde. Les philosophes qui affirment que la finalité, le mécanisme, l'évolution et la création relèvent d'une vision du monde et sont étrangers à la science pourraient être classés comme réductionnistes faibles.Le réductionnisme d'aujourd'hui est le mécanisme d'autrefois ; de même, le holisme recouvre à peu près l'ancien vitalisme. Ce rajeunissement du vocabulaire devrait au moins contribuer à écarter les confusions. Mieux vaut éviter tout rapprochement entre le mécanisme, au sens d'explication exclusive de la finalité, et la mécanique rationnelle. L'antiréductionnisme n'implique pas nécessairement l'admission de forces vitales. D'ailleurs, l'expression s'entend en au moins deux sens. Il peut s'agir soit de « qualités occultes » (comprenons : d'entités verbales), soit de forces qui ne se manifestent que dans les organismes. Cette dernière conception, qui n'a rien d'absurde, a été celle de Cournot, C. Bernard, J. Boussinesq. Parler de force vitale (au singulier ou au pluriel) est une manière de dire que l'organisation du vivant ne se produit pas spontanément (au hasard) par le jeu de principes mécaniques. « Ce n'est pas faire preuve de vitalisme que de déclarer qu'un être vivant est une structure globale, c'est constater une évidence. Ce qui est inadmissible, c'est d'expliquer les phénomènes locaux par une structure globale... » (R. Thom, cf. bibl.). Détail significatif : la terminologie nouvelle reporte l'accent des thèses sur les méthodes. Il passe pour aller de soi que la méthode de la science est réductrice et que celle des non-orthodoxes est globaliste.« Holisme » est un terme nouveau, qui éventuellement sert à différencier la doctrine, qui admet l'importance, dans les phénomènes vitaux, du niveau et des structures d'organisation, d'avec la doctrine des forces vitales. Introduit dans les années 1920, le mot désigne, à l'origine, des doctrines, appelées aussi organicistes, qui visent à échapper à la fois au déterminisme et au finalisme, ou peut-être à les concilier, en insistant sur le caractère spécifique de l'organisme. Celui-ci est une totalité inanalysable. Les totalités présentes dans la nature ne s'expliquent pas par un assemblage de parties ; il y a quelque chose qui relie et ordonne ces parties, et qui n'est pas de l'ordre d'une causalité efficiente. Pour Aristote, c'est la forme, organisatrice et conservatrice de l'être vivant (forma est qua ens est id quod est). Ce principe de liaison a porté encore d'autres noms : entéléchie, force vitale, principe directeur. Le fait frappant, qui justifie et illustre le holisme au premier chef, est la capacité des embryons, au début de leur développement, de se régénérer à partir d'une de leurs parties : il faut que la partie refasse le tout ou que le tout refasse ses propres parties en se reproduisant lui-même (R. Ruyer, La Genèse des formes vivantes, chap. iii). Des théories déjà anciennes, classées sous la rubrique « holisme », plus ou moins proches du finalisme et du vitalisme, hésitantes sur la manière de concevoir une force vitale ou une action causale de l'être individuel organique, ont été critiquées par R. Ruyer (Néofinalisme, 1952). Il est possible de faire beaucoup mieux ! Les conceptions de R. Thom, de structures formelles, de logoi géométriques sous-jacents à la structure et au développement des êtres vivants, dont ceux-ci seraient la réalisation biochimique, rentreraient dans une vision holiste (cf. bibl.). « Holisme » s'emploie encore comme synonyme de finalisme, non pas seulement pour désigner une variante de la conception kantienne où l'explication mécaniste est considérée comme universellement valide, et la cause finale comme un point de vue, d'ailleurs légitime (« jugement réfléchissant »). On range sous l'étiquette « holisme » l'hypothèse du rôle des formes et des fins comme guides de l'évolution, mais quel est le but assigné à cette évolution ? Les animaux seraient des expressions imparfaites ou inachevées de l'homme. Pour être l'opinion d'Aristote, cette thèse est à peine croyable. Elle est plus ou moins explicite dans les écrits de certains biologistes et dans le principe anthropique des physiciens.Il existe plusieurs façons d'être holiste : admettre soit (1) une force vitale, soit (2) l'existence de formes, de types d'organisation qui tendent à se réaliser, de potentiels qui commandent l'apparition soit d'une structure instantanée, soit d'une structure qui persiste dans le temps. Il suffit, pour n'être pas mécaniste, de supposer que le vivant, qui n'existe que par ses parties, est tel que ses parties n'existent que par la VIe du tout ; qu'il y a une action réciproque du tout et de ses éléments. S'ensuit que la VIe est irréductible aux forces physico-chimiques.Le holisme peut correspondre à des choix philosophiques différents. Par exemple, Bergson est représentatif de la thèse que les sciences physico-chimiques ne donnent que des moyens d'agir sur la matière et sont forcément réductionnistes ; que les phénomènes du vivant échappent au déterminisme, que la VIe est créatrice et réalise ses objectifs en extrayant de l'énergie d'éléments matériels extérieurs. Une épistémologie pragmatiste peut conduire à une attitude holiste. Des conceptions platoniciennes et aristotéliciennes, imprégnées de finalisme, où la forme est dotée d'une sorte de pouvoir organisateur, ne peuvent trouver place que dans un cadre holiste.Enfin, il arrive que « holisme » désigne chez les Anglo-Saxons l'antithèse de l'individualisme économique et social (« Holism », in P. Edwards dir., The Encyclopedia of Philosophy, 1967).

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Biographie

Joe Arroyo, né Álvaro José Arroyo González, le 1 novembre 1955 à Carthagène des Indes et mort le 26 juillet 2011 à Barranquilla, est un chanteur et compositeur colombien considéré comme un des plus importants de la musique des Caraïbes. À douze ans, il fait partie du chœur de la cathédrale. En 1971, il part à Barranquilla et chante avec le groupe {{Langue|es|La Protesta}} qui est inspiré de Richie Ray et Bobby Cruz. Il a chanté dans les groupes de salsa et de cumbia {{Langue|es|Fruko y sus Tesos}} (en 1971), {{Langue|en|The Latin Brothers}} et {{Langue|es|Los Líderes}} avant de se lancer dans une carrière solo en 1981 avec son propre groupe, {{Langue|es|La Verdad}}, avec Chelito de Castro au piano.

Biographie

Joe Arroyo, né Álvaro José Arroyo González, le 1er novembre 1955 à Carthagène et mort le 26 juillet 2011 à Barranquilla (Colombie), est un interprète et compositeur colombien considéré comme un des plus importants de la musique des Caraïbes. À douze ans, il faisait partie du chœur de la cathédrale. En 1971, il part à Barranquilla et chante avec le groupe La Protesta qui est inspiré de Richie Ray et Bobby Cruz. Il a chanté dans les groupes de salsa et de cumbia Fruko (en 1971), The Latin Brothers et Los Lidéres avant de se lancer dans une carrière solo en 1981 avec son propre groupe, La Verdad, avec Chelito de Castro au piano. Read more on Last.fm. User-contributed text is available under the Creative Commons By-SA License; additional terms may apply.

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