0 avis
LES GROTESQUES
Article
Edité par Encyclopædia Universalis - 2018
Malgré leur abondance dans l'Italie de la Renaissance, les décors de grotesques sont peu étudiés. Si on excepte un bref essai d'André Chastel et les travaux érudits de Nicole Dacos sur leur essor dans l'atelier de Raphaël à la suite de la découverte à Rome de la Maison dorée de Néron, ils ne font guère l'objet que d'analyses ponctuelles. Les grotesques souffrent en effet d'un préjugé tenace : bien des historiens de l'art croient encore qu'elles relèvent seulement de l'ornemental. Or, comme le montre brillamment Philippe Morel (Les Grotesques, coll. Idées et recherches, Flammarion, 1997), elles mettent en jeu, sous leur allure plaisante de décoration fantaisiste, des secteurs essentiels de la culture de l'époque. L'auteur le montre également pour les grottes (Les Grottes maniéristes en Italie au XVIe siècle, Macula, 1998).Philippe Morel a examiné et photographié un nombre impressionnant de décors. Il fait ainsi découvrir au lecteur français des cycles qui lui sont à peu près inconnus, comme ceux d'Oriolo Romano (près de Caprarola) ou de Torrechiara (près de Parme). Il ne prétend toutefois pas à l'exhaustivité. Il se limite à l'Italie centrale (entendue largement) et ne s'attarde pas sur les origines : les grotesques s'inspirent évidemment de la sculpture et de la peinture antiques mais aussi, estime-t-il, des marginalia des manuscrits médiévaux. Il focalise sa recherche sur la seconde moitié du XVIe siècle parce qu'un tournant décisif s'amorce avec la Contre-Réforme : plusieurs théoriciens dénoncent alors avec virulence les grotesques. L'auteur développe une approche thématique afin de mettre en lumière le profond enracinement des grotesques dans la culture maniériste.Philippe Morel procède à des rapprochements fort probants avec la littérature. Excluant la poésie de carnaval – son érotisme ne se retrouve guère dans les grotesques –, il retient le latin macaronique, pour ses effets parodiques ; la poésie burlesque en terza rima à la Berni, pour sa tension entre rigidité formelle et liberté d'invention cocasse ; les collections littéraires hétéroclites de Doni ou Lomazzo, pour leurs accumulations dépourvues de toute logique. Il recourt également à la rhétorique. Il range ainsi sous la rubrique du paradoxe les lourds objets tridimensionnels reposant sur de frêles supports sans tridimensionalité. Toujours est-il que ces jeux sur la pesanteur (ou, mieux, sur la pondération) chahutent un des fondements de la peinture moderne : depuis Masaccio, les corps doivent paraître pesants, les appuis stables. Notons d'ailleurs, à propos de ces fréquents effets de légèreté sans raison, que l'auteur accorde peu d'attention aux formes en fils. Les décors qu'il étudie regorgent pourtant d'enroulements, ondulations et suspensions qui ne se réfèrent à rien d'identifiable : ils sont purement iconiques.L'analyse des parentés avec les devises ou les emblèmes appelle une adhésion sans réserves. On connaît l'engouement des élites de la Renaissance pour les images étranges qui,
Consulter en ligne
En savoir plus
Biographie
