0 avis
LE MODÈLE NOIR DE GÉRICAULT À MATISSE (exposition)
Article
Edité par Encyclopædia Universalis - 2019
Présentée au musée d'Orsay du 26 mars au 21 juillet 2019, l'exposition « Le modèle noir, de Géricault à Matisse » affiche un objectif politique d'importance : rassembler un corpus d'œuvres (peintures, dessins, estampes, sculptures, photographies, films) qui révèle la présence des personnes « de couleur » dans l'art français, de la fin du XVIIIe siècle à la Seconde Guerre mondiale ; déconstruire les stéréotypes raciaux et leur opposer l'identification et la biographie retrouvée des modèles. L'exposition se situe dans le sillage des travaux des historiens de la diaspora africaine, de la blackness et des études postcoloniales. Elle relève en partie du contexte anglo-saxon, une première version de l'exposition ayant été présentée à New York (Posing Modernity. The Black Model from Manet and Matisse to Today, 2018), et aborde le sujet de la domination dans sa dimension visuelle, qui a longtemps manqué à la recherche française.L'évocation de l'esclavage ouvre l'exposition. Un appareil documentaire présent tout au long du parcours – ici, entre autres, le décret français d'abolition de 1794, bientôt annulé, et la proclamation française de 1848 – accompagne des œuvres qui mettent en évidence l'ambivalence des images. Si le Châtiment des quatre piquets de Marcel Antoine Verdier (1843) dénonce l'usage du fouet, ce n'est pas sans y mêler une bestialité et une érotisation ambiguës du corps. Dans L'Abolition de l'esclavage, François-Auguste Biard (1848) célèbre la fraternité retrouvée, mais le contraste entre l'habillement et les postures des Noirs (libérés) et des Blancs (libérateurs) laisse aussi augurer la perpétuation d'une domination réelle autant que symbolique. Ces aspects sont présents dans nombre d'œuvres exposées.Le « modèle » du titre doit s'entendre dans le double sens du sujet anonyme posant pour les artistes et de la personnalité médiatique, mais souvent caricaturée, qu'elle soit politique (Jean-Baptiste Belley, Toussaint Louverture), littéraire (Alexandre Dumas), qu'elle appartienne au monde du spectacle (Ira Aldridge, Maria Martinez, Tom Wiggins) ou à celui des arts visuels (Théodore Chassériau, Guillaume Guillon Lethière). Des recherches documentaires ont permis de retrouver le nom de certains modèles anonymes (Joseph peint par Géricault et Chassériau, Laure par Manet, Aline/Aspasie par Delacroix, etc.), et le parti-pris a été d'effacer les marqueurs raciaux des titres sous lesquels les œuvres ont longtemps été montrées (« nègre du Soudan », « portrait de mulâtresse », « négresse aux pivoines », etc.). On aurait toutefois souhaité voir mieux contextualisée l'attribution des noms (souvent des surnoms sans patronyme) et plus clairement justifiée la modification de certains titres : ainsi, pourquoi, et par qui, le groupe sculpté de Charles Cordier représentant l'accolade de deux enfants blanc et noir, acquis sous le titre L'Abolition de l'esclavage, a-t-il été renommé Aimez-vous les uns les autres ?Les sections intitulées « En scène » et « La “force