CONNAISSANCE

Article

Michaël FOESSEL

Edité par Encyclopædia Universalis - 2009

La connaissance désigne un rapport de la pensée à la réalité extérieure et engage la notion de vérité comme adéquation de l'esprit et de la chose. Par extension, le terme connaissance désigne le contenu de la pensée qui correspond à la nature de la chose visée, et s'oppose à erreur ou illusion. Ses caractères sont l'universalité et la nécessité, ce qui suppose de réfléchir sur la méthode propre à nous faire parvenir à la connaissance. En ce sens, elle est plus qu'une croyance partagée puisque son universalité est de droit ; de même elle diffère de l'opinion dans la mesure où elle est une opinion vraie, « accompagnée de raison » (Platon).Si, en philosophie comme en sociologie, la connaissance est un rapport de la pensée à la réalité, il doit y avoir des degrés de connaissance comme il y a des degrés de réalité. C'est ce que montre Platon par le schéma de la ligne (La République, VII) : au plus bas degré de réalité correspond le plus bas degré de connaissance, celui que nous donne la perception sensible ; c'est au terme de la démarche dialectique que la pensée pure parvient au plus haut degré de connaissance, c'est-à-dire à saisir la nature immuable de la chose, son essence. Le jeu des questions et des réponses doit être mené de telle manière que les impressions sensibles laissent peu à peu place au raisonnement puis à l'intuition intellectuelle. L'âme doit s'affranchir de l'influence perturbatrice du corps pour retrouver la vérité qu'elle connaît de toute éternité parce qu'elle est de même nature qu'elle. Toute connaissance au sens fort est donc pour elle une réminiscence (Ménon).Cette approche qui définit l'activité philosophique par la recherche de la connaissance peut sembler paradoxale, car c'est en faisant retour sur elle-même que la partie intellectuelle de l'âme parvient à retrouver la réalité. Il faut rappeler que cette conception est une réponse au scepticisme inauguré par les sophistes (Gorgias, Protagoras), et qui sera prolongé par Pyrrhon pour qui la séparation de la réalité et de la pensée empêche par principe celle-ci de rejoindre celle-là.La position d'Aristote est dictée par les termes de ce débat : il n'y a de science que de l'universel, mais c'est en prenant acte des données de l'expérience sensible que l'intellect parvient à produire la connaissance par une démarche d'abstraction. Les règles logiques sont l'instrument (Organon) dont l'intellect se sert à cet effet. Néanmoins, la question de la connaissance reste entière, puisque le présupposé de pouvoir atteindre le réel a seulement été déplacé d'un innéisme vers un empirisme.C'est pourquoi la philosophie moderne semble à beaucoup d'égards reposer le débat dans les mêmes termes qu'initialement, en particulier dans le débat opposant l'empirisme de John Locke et l'innéisme de G. W. Leibniz. Pour Locke, l'esprit est d'abord une table rase, et les objets matériels causent en lui la présence de sensations qu'il compose en idées, qui doivent être vérifiées empiriquement pour accéder au statut de connaissance : toute connaissance part de l'expérience et s'achève en elle (Essai sur l'entendement humain, 1690). Pour Leibniz au contraire, le sensible n'a pas de réalité propre, il n'est que de l'intelligible confus qu'il s'agit de clarifier. Toute substance contenant la totalité de ses déterminations, la connaissance est une analyse qui s'appuie sur les idées innées (Nouveaux Essais sur l'entendement humain, posth. 1765).Locke et Leibniz affrontent une difficulté héritée du scepticisme antique et que René Descartes pensait avoir réglée : le doute méthodique des Méditations métaphysiques (1641) pose de manière radicale le problème de la disjonction entre la représentation et la réalité par l'hypothèse initiale d'un malin génie « qui a employé toute son industrie à [me] tromper », et qui s'annule lorsque la démonstration de l'existence de Dieu et de sa véracité lève cette hypothèse pour permettre de fonder la connaissance en établissant la vérité des idées claires et distinctes conçues par l'esprit seul. Du connaître à l'être, la conséquence est donc bonne.Lors de cet acte fondateur de la modernité, la connaissance prend un tout autre sens. En effet, au contraire d'Aristote qui en fait une fin en soi, l'ambition cartésienne de fonder la connaissance est inséparable du souci de lui donner une portée pratique. La détermination de la nature comme res extensa permet l'application de la méthode mathématique à la physique et fonde la solidarité de la connaissance et de la technique dans le projet de nous rendre « comme maîtres et possesseurs de la nature » (Discours de la méthode, 1637).David Hume rejettera l'existence de ces idées qui n'ont aucune consistance et le « jargon métaphysique » qui présente sous le nom de science un ramassis de superstitions. Selon lui, la métaphysique est une croyance, voire une « couverture à l'absurdité et à l'erreur » (Enquête sur l'entendement humain, 1748).La perspective transcendantale qu'ouvre Emmanuel Kant arbitre le débat entre dogmatisme et scepticisme. Toute connaissance commence avec l'expérience, certes, mais il ne s'ensuit pas qu'elle en dérive. Le fait même de pouvoir constituer une expérience suppose, pour le sujet, d'avoir à sa disposition un certain nombre de catégories (concepts purs de l'entendement) et des formes a priori de la sensibilité (espace et temps) dans lesquelles une intuition est donnée (physique) ou construite (mathématiques). La connaissance est produite par la synthèse des concepts et du donné empirique au moyen des principes, dont fait partie la loi de causalité. Parce qu'elle porte sur des objets au-delà de l'expérience possible, la métaphysique n'est donc pas une connaissance, mais une illusion de connaissance motivée par le désir de la raison de tout connaître (Critique de la raison pure, 1781).La tâche de la philosophie critique est de discipliner la raison et de répondre à la question « Que puis-je savoir ? ». La réflexion doit se concentrer sur les limites de la connaissance possible, et substituer à une impossible ontologie une analytique du sujet connaissant. Nous ne connaissons que des phénomènes, et non pas le fond des choses. Le monde des phénomènes lui-même ne relève pas tout entier du domaine de la connaissance : le rapport esthétique à la nature (tel qu'il s'exprime dans le beau et le sublime) suppose une mise entre parenthèses du jugement déterminant de la connaissance (Critique de la faculté de juger, 1790).On ne saurait donc dire de Kant qu'il a réduit la philosophie à une théorie de la connaissance même si certains de ses héritiers ont eu tendance à le faire (néo-kantisme). La réflexion contemporaine consiste très largement en une critique de l'entreprise de connaissance, qui n'est selon Martin Heidegger ni le seul ni le plus immédiat des genres d'être du Dasein, cet étant que nous sommes (Être et Temps, 1927). Le rapport au monde que la connaissance prétend ériger en norme de toute pensée, c'est-à-dire le rapport sujet /objet, nous installe dans des modes d'être inauthentiques. Loin de nous faire saisir la réalité, la connaissance nous éloigne de l'être au point de nous faire oublier jusqu'à la question de son dévoilement, qui est toujours à la fois présence et retrait. Puisque ce qui est démontrable est insignifiant, la pensée s'exercera par rupture avec la science et la métaphysique. Plus qu'à une mise à distance, c'est même à un « désaveu de la science » (Maurice Merleau-Ponty) qu'on a affaire, dans la mesure où la connaissance prétend jeter le discrédit sur le contact naïf avec le monde sur la base duquel elle s'édifie pourtant. Faire de la philosophie et des sciences sociales veut dire alors non pas connaître le monde mais l'habiter selon toutes les dimensions de son apparaître.

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