VLADIMIR VELIČKOVIĆ (1935-2019)

Article

Alain JOUFFROY

Edité par Encyclopædia Universalis - 2019

On ne sait ce qu'on peut admirer le plus dans les dessins et la peinture de Vladimir Veličković. Il est avec Dado et Ljuba l'un des trois peintres d'origine yougoslave qui, venus à Paris après la guerre, s'y sont fait connaître internationalement. Ayant reçu un diplôme de la faculté d'architecture de Belgrade, où il est né en 1935, et s'étant installé lui-même à Paris en 1966, il s'est tout de suite fait remarquer par le dynamisme et l'acuité de son trait, une sorte de violence contrôlée et de puissance baroque que Marc Le Bot, qui lui a consacré un livre important Vladimir Veličković, essai sur le symbolisme artistique (1979), préfère appeler un « vertige de la géométrie ». Selon Le Bot, « la peinture de Veličković semble renouer avec la plus ancienne tradition artistique lorsqu'elle se donne à déchiffrer comme une allégorie de la destinée ». Orateurs, gibets, homme qui court, heurts, obstacles, états de saut, homme qui marche, naissance, homme décapité couché sur un brancard (l'une de ses plus belles toiles — elle lui fut inspirée par la mort de Topino-Lebrun, peintre révolutionnaire guillotiné par Bonaparte —, proposée par Alain Jouffroy en 1977 pour l'exposition Guillotine et peinture au Centre Georges-Pompidou à Paris) : tous ses thèmes s'inscrivent en effet dans une allégorie de la VIe humaine, conçue comme le paradigme universel de la méditation picturale. Des thèmes annexes, comme les lévriers en course, les expériences sur des rats, les oiseaux écrasés ou les boîtes détruites ne font que redoubler métaphoriquement les autres.Mais cette peinture met en question l'orientation même de la peinture en Occident depuis le cubisme : elle réagit contre l'abandon de la figure humaine sans jamais tomber dans l'académisme, et fait même de ce retour une sorte de provocation véhémente, sinon angoissée, qui rappelle de biais l'œuvre de Francis Bacon, avec qui Veličković a entretenu des relations amicales. Plus « moderne » en un sens que Bacon, Veličković inscrit ses figures dans un espace mesuré, sinon millimétré, comme celui d'un champ de courses ou d'un laboratoire : chez lui, le modernisme s'identifie à une nostalgie du classicisme. Rien de néo-classique ni de postmoderne, pour autant, dans cette peinture qui n'est jamais décorative ni ne procède à aucune parodie. L'énergie qui s'en dégage est unique, même si un trop grand souci de lisibilité des formes entrave ou empâte parfois d'un excès de plâtre les mouvements, pourtant vigoureux, de ses personnages. L'emprunt qu'il fait à Muybridge et à ses études photographiques du mouvement coïncide chez lui avec un véritable culte de la santé, sinon du sport, qui entre en contradiction avec la hantise de la mort et de la décapitation.Sans faire appel à trop de couleurs, dont il ne montre parfois qu'une palette complète en bas du tableau, comme s'il restait à peindre avec d'autres couleurs, Veličković se sert le plus souvent du noir, du gris et du blanc, avec de brefs éclats rouges ou jaunes, pour rester fidèle

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